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15 mai 2014 4 15 /05 /mai /2014 19:02

En ces temps d'élections, municipales il y a deux mois, européennes aujourd'hui, le discours politique tente de se replier sur ses fondamentaux. Hors, en terme d'économie, que tente-t-on de vendre au grand public, aux électeurs ? D'abord de la frayeur incitative : on fait peur au citoyen afin qu'il se déplace aux urnes pour contrer un danger (supposé ou réel, cela n'est pas la question) : contre le « populisme », la « décadence », la « guerre », le « chaos », etc...

Mais à part la peur, quel projet propose-t-on au peuple ? Quels sont les objectifs de notre classe dirigeante ?

La réponse est plutôt simple : de la Croissance pour moins de chômage.

Arnaud Montebourg par exemple déclarait le 13 mai que « la croissance ce sont des usines qui tournent et qui embauchent, qui s'implantent, des consommateurs qui ont du pouvoir d'achat ». Jean-Christophe Cambadélis quant à lui nous disait le 14 mai que le PS voulait une « Europe [ndr : comprendre l'UE] qui se tourne vers la croissance ».

Jean-Claude Michéa nous rappelle pourtant que l'accumulation en elle-même ne peut être un programme politique :

« quand je m'amuse avec mes élèves à leur poser la question "Êtes-vous pour l'augmentation de ... ?" Et puis je laisse un silence. Et là, timidement, il y a toujours deux ou trois élèves qui commencent à dire "L’augmentation de quoi, monsieur ?". Je dis : "Bonne question, dictée par le bon sens. L'augmentation ne peut pas être un programme en lui même."

Et bien, sachez que les maîtres de ce monde ont pourtant une position étrange. Pour eux, la Croissance, synonyme de l'augmentation indéfinie est une philosophie à part entière. Cette Croissance incorpore les choses les plus diverses. Le pétrolier qui s'échoue sur les plages de Bretagne ou d'Espagne, l'usine qui saute en Inde, les progrès de la délinquance. Tout ce qui produit de la valeur ajoutée engendre de la croissance et est bon pour l'humanité. »

Michéa dans "Le complexe d'Orphée" rapporte d'ailleurs l'histoire sordide et pathétique de l’île de Nauru, ayant vécu pendant des années grâce à l'extraction de phosphate de son sol. Malheureusement pour l'île et ses habitants, vivre d'une ressource finie mais en ayant un mode de vie tourné vers l'illimité s'est terminé par une catastrophe dans les années 1990.

Alors qu'est-ce que la Croissance ? La Croissance c'est vouloir remplir un jerrican de 20L d'eau quand on n'a à sa disposition qu'une bouteille de 1L. La Croissance c'est penser qu'on pourra vivre à 30 personnes dans un appartement de 30m2 de la même façon qu'on y vivait à deux. La Croissance c'est l'infini dans un monde limité en ressources et en espace. La Croissance en fin de compte c'est le caprice permanent de l'adulescent qui ne veut pas voir le réel.

On pourrai nous proposer une hypothétique conquête spatiale, mais, nous sommes encore loin de faire pousser du tofu sur Mars ou d'élever des chèvres sur Kepler 186f. Le but ne devrait pas être l'accroissement permanent, mais la qualité de vie de tout un chacun. Cela n'empêche pas l'humanité d'aller de l'avant sur le plan scientifique ou politique. Cela l'empêche par contre de détruire son habitat et finalement de s'autodétruire.

La deuxième entourloupe actuelle consiste à faire passer notre bonheur par le plein emploi, ou en tout cas la baisse du chômage. Mais l'important n'est pas que tous les individus en âge et capacité de travailler et de produire aient un emploi. L'important c'est que les personnes qui exercent un métier le fassent de façon digne et que le revenu de cette occupation salariée leur permettent, à eux et à leur famille, de vivre dignement.

Pour prendre un exemple concret, vaut-il mieux dans une famille que les deux parents travaillent quinze heures par semaine pour 400 euros par mois ou qu'un seul des deux parents exerce une activité rémunérée 1600 euros ?

Le plein emploi et le taux de chômage ne sont pas des critères valables. Le seul critère qui compte c'est la dignité de la personne humaine et donc du travailleur et ce quel que soit son travail. Le salaire de mon grand-père, ouvrier jusque dans les années 1980, lui a permis de faire vivre sa famille décemment, d'instruire et d'éduquer ses enfants, et de devenir propriétaire. L'époque actuelle, par la voix de ses thuriféraires, excommunie ce modèle.

La preuve c'est qu'aujourd'hui "en Union Européenne", le modèle est l'Allemagne. L'Allemagne du plein emploi et de la croissance. Pourtant, cette Allemagne c'est aussi celle d'un taux de pauvreté en constante augmentation.

L'introduction d'un salaire minimum horaire n'y changera rien puisque le grand patronat se tournera alors vers des contrats précaires, comme en Angleterre où le contrat « zéro-heure » a été et est encore un franc-succès...pour les grosses entreprises et même le service public. Un article du Figaro du 9 août 2013 nous apprend ainsi « qu'une étude allemande publiée l'année dernière souligne que la probabilité pour une personne en recherche d'emploi de trouver un contrat à durée indéterminée (CDI) en Europe a chuté de 7,7% entre 1998 et 2008 ». Ce n'était pas encore la « Crise »...

L'époque est au précaire pour le salarié, nous revenons doucement au dix-neuvième siècle. Alors rappelons ce que La Tour-du-Pin écrivait au XIXe siècle :

« Le principe de toute législation est, en effet, la justice; et le principe de la législation sociale est la justice sociale, d'où peut-être elle tire son nom. Or, la justice sociale veut que certaines classes de la société ne soient pas, par suite de la défectueuse organisation du travail dans cette société, vouées à tomber à la charge de la charité publique, alors que leur travail profite à des entreprises privées. Elle prétend rendre ainsi à César ce qui est à César, en imposant à la grande industrie la charge du prolétariat industriel. »

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